AMOURS, ANGOISSES et POÉSIES
extraits
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extraits
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GAY PRIDE
Allez
venez, milord
Vous
asseoir à ma table
Il
fait si froid dehors
Ici
c’est confortable…
Rythmée par une houle
de bras fleuris de rouge, la Gay Pride reprend en français et en
cœur les succès de Piaf.
De
tendres mâles, amoureusement accouplés, dansent au bord du canal.
Bittes à culs, des frères Ripolin hilares et insouciants, se
balancent en mesure. Deux madones seules au monde, tétons contre
tétons, s’excitent et se bercent voluptueusement. Un représentant
de la loi long et mince, un instant s’oublie dans un pas de danse.
Les bras sont autour des cous, les mains sont posées sur les fesses.
Ça fume et ça sent bon. On se regarde les yeux dans les yeux, on se
touche, on se dit qu’on s’aime. Emportés par la foule, qui
s’élance et qui danse..., nous plongeons dans ce monde sans
hypocrisie, nos doigts se serrent, nous aussi on est bien. A deux pas
de nous, chauve, livide, décharné, supporté par des bras forts et
tendres, un homme épuisé sourit douloureusement, ses lèvres
fiévreuses reprennent en murmurant :
Non
rien de rien
Non
je ne regrette rien…
Amsterdam
le 8 août 1999
*
CHAUSSÉE
Nous venions
de passer le Pont Alexandre III pour
remonter la rive gauche. Un passant accablé venait dans notre
direction. Costume gris, cheveux poivre et sel, lunettes à grosses
montures noires, le teint blême, presque vieux, souffreteux, il
marchait à petits pas au milieu du trottoir. Dans une main il tenait
une mallette de cuir, contre lui il serrait un sac noir de femme à
double anse.
Il s’arrêta,
nous étions tout près. L’air triste et écœuré, il posa sa
mallette sur le parapet.
Allait-il
se... ?
Ses mains
gantées fouillèrent un instant dans le sac et, en sortirent une
belle paire de chaussures de femme à talons hauts.
Sac volé
dont il faisait l’inventaire ?
Brusquement
et avec une dextérité incroyable, il se défit de ses souliers
d’homme et enfila les hauts talons en regardant négligemment
autour de lui, n’ayant pour notre étonnement ni gêne ni
complicité, il rangea les souliers d’homme d’un air dédaigneux,
puis soulagé, il repartit. Quand je me retournai, très à l’aise
dans ses chaussures cachées par l’ourlet de son pantalon, il
marchait sac au bras, bien droit, avec une élégance et une féminité
confondante.
*
L’OISEAU NOIR
Au-dessus
des ruines d’un village berbère, entre deux pitons rocheux
déchiquetés, une mosquée immaculée sommeillait sur fond de ciel
bleu. Plus haut
encore dans l’azur infini un oiseau noir planait paisiblement.
Il allait et
venait d’un sommet à l’autre, porté par le vent, remontant
inlassable et superbe dans la chaleur légère des courants
ascendants. Longtemps,
et malgré le soleil matinal du désert qui serrait nos paupières
nous avons suivi ses arabesques lentes et gracieuses.
Brutalement son vol s’interrompit, et, nous arrachant des exclamations de surprise et d’effroi, l’oiseau chuta comme une pierre.
Brutalement son vol s’interrompit, et, nous arrachant des exclamations de surprise et d’effroi, l’oiseau chuta comme une pierre.
Un coup de
feu inaudible venu de l’autre côté des montagnes l’avait sans
doute frappé à mort.
Il n’était
pas loin, tombé à quelques centaines de mètres de notre chemin.
D’un même élan nous nous précipitâmes vers le lieu de sa chute
espérant naïvement lui porter quelques secours. Palpitants,
essoufflés nous devinâmes bientôt son corps écrasé sur des
rochers. Quelques pas encore et, horrifiés, nous découvrîmes
inerte, déformé, tailladé, poussiéreux, collé au sol, un immense
sac en plastique noir.
Chenini février 1997
*
ISABELLE
Le vent avait rendu l’âme. Un brouillard froid et tenace avait effacé la montagne. J’avais pris la tête à l’attaque du sentier. Derrière moi elle courait silencieuse et légère. La pente était rude, mais nos cœurs et nos souffles inépuisables se riaient de l’effort. A l’alpage, délivrée de la pesanteur notre allure s’allongea.
Dans le silence ouaté d’un monde sans limites, nous ne percevions plus que le rythme de nos foulées qui s’imprimait en craquant dans le givre fleuri de la prairie. Heureux et fier j’allais à ses côtés. Un arbuste pétrifié, un cairn vernissé parfois désunissaient nos routes et je pouvais alors la contempler. Belle, gracile, le visage empreint d’une énergie mystique elle courait seule au monde, fouettée par le galop de ses cheveux blonds rassemblés en panache sur sa nuque. Nos corps à nouveau s’alourdirent au versant de l’ultime ascension, une crête fourrée par la brume montée des à-pics. Nous désespérions du sommet lorsque brutalement nous surgîmes sur un îlot, dans la lumière aveuglante du soleil ressuscité. Bien vite nos souffles se calmèrent. Une mer pâle, paresseusement obstinée, engloutissait maintenant nos pieds et nous emportait sur ses nuages. Au paradis, je tenais dans ma main brûlante les doigts glacés d’un ange.
Pierre Chauve, Vercors, au printemps198?
*
MOÏZÈS
Cette belle
matinée de mai m’avait grisé et j’allais léger et insouciant.
Les cris
d’un enfant pourtant s’immiscèrent dans mon bien être, je
tentai de les repousser pour garder ma quiétude. Ces hurlements là
n’étaient pas ordinaires. Retrouvant mes sens, je m’arrêtai et
compris que ces pleurs venaient mystérieusement d’un long talus
désert.
J’allais
reprendre mon chemin, mais les cris encore plus pressants me
retinrent. Des cris d’effroi qui ne voulaient pas me laisser en
paix.
J’hésitais...
Interrogeais du regard...
Près de moi
des gens passaient à leurs affaires. La plupart semblaient
indifférents, d’autres levaient les yeux vers la butte,
ralentissaient un instant, puis poursuivaient leur chemin. J’hésitai
un instant encore, puis comme eux filai, emportant dans ma tête des
échos douloureux.
De retour je
retrouvai les cris, plus forts, plus désespérés, plus pathétiques.
Des hurlements qui me semblaient un appel.
Je grimpai
le talus au pas de course, pour découvir au sommet un petit canal
limpide, vivant, bordé de plantes d’eau et de broussailles. Et là,
à deux mètres de moi, dans les iris, un enfant ! Un tout jeune
enfant, le cou tendu, l’eau au bord des lèvres, hurlait à la vie.
Il se cramponnait avec l’énergie du désespoir à des touffes
d’herbes pour résister au courant et échapper à la noyade. Il
n’avait pas assez de vigueur ni d’adresse pour remonter sur la
rive et semblait à bout de force. Je me précipitai, tirai le gosse
hors de l’eau avec une facilité dérisoire.
Il cessa
aussitôt de crier et se blottit dans mes bras.
J’avais
sauvé la vie de quelqu’un ! La vie d’un enfant ! Euphorique je
redescendis la butte lentement, portant fièrement contre ma poitrine
ce petit dégoulinant.
L’enfant
transis ne sut rien me dire et je dus à un commerçant du quartier
l’adresse de sa famille.
Je montai à
toute allure trois étages, sonnai à la porte d’un appartement.
Heureux et fier, je tendis à une petite femme noiraude sa progéniture
tremblante et ruisselante.
La femme
prit son enfant et, devant moi, son sauveur, le gifla violemment,
l’injuria en portugais et... me claqua la porte au nez.
Bourg-les-Valence mai
1969
*
CONFUSION
Face à
cette femme sombre, fanée et à ce jeune homme sinistre la petite
vendeuse resta complètement décontenancée.
- Une robe... de... mariée...?
Pour lutter contre le trouble qui la gagnait, elle précipita ces clients austères vers les mannequins de neige. Intimidée, elle n’osa pas s’étonner ouvertement de l’absence de la future épousée.
- Une robe... de... mariée...?
Pour lutter contre le trouble qui la gagnait, elle précipita ces clients austères vers les mannequins de neige. Intimidée, elle n’osa pas s’étonner ouvertement de l’absence de la future épousée.
Le garçon
se dirigea sans hésitation vers une magnifique robe à crinoline.
D’une voix triste, teintée d’un léger accent étranger il
prononça dans un souffle :
- Celle-ci,
celle-ci, me plaît beaucoup.
- C’est
notre plus beau modèle, osa la petite vendeuse.
- Certes,
répliqua la femme âgée, mais voyez plutôt celle-là mon enfant.
Et elle
l’entraîna, réticent, vers une robe de satin, classique, longue,
ample, à la taille allongeante, aux manches mi-longues naissant d’un
léger boléro.
- Oui... ma
femme serait belle ainsi..., reconnut-il.
Les yeux du
jeune homme s’allumèrent un instant, il esquissa un léger
sourire, hésita, et revint à son premier choix.
- Mais je
crois que je préfère ...
La
belle-mère ne le laissa pas finir, déjà elle lui en présentait
une autre toute différente. Une robe Charleston en crêpe immaculé,
fendue presque jusqu’à la hanche, le col largement ouvert sur des
épaules dorées...
- Elle lui
irait à merveille, avoua-t-il.
- Pourtant
celle-ci avec les cerceaux... et il sourit au mannequin à crinoline.
La vieille
femme le tira par la manche, l’entraîna à l’autre bout du
magasin où une jeune beauté de plastique, habillée d’organdi
traînait à sa suite des vapeurs de tulle.
- Superbe
n’est-ce pas !
- Superbe !
reprit-il gaiement en repartant vers sa belle à crinoline.
Mais
celle-là ! C’est celle là que je veux !
Il se plaça
à côté du modèle, l’enlaça par la taille et d’un ton enjoué
prit à témoin la jeune vendeuse :
- Ma femme
n’est elle pas belle ainsi ?
Il
rayonnait...
La mère s’approcha et sur un ton sévère lui chuchota :
- Voyons mon enfant, cette robe à cerceaux... dans le cercueil, vous n’y pensez pas !
La mère s’approcha et sur un ton sévère lui chuchota :
- Voyons mon enfant, cette robe à cerceaux... dans le cercueil, vous n’y pensez pas !
Romans,
Jeanne 1979.
TRADITION
Elle avait
laissé glisser sa tête contre le rideau de la fenêtre. Les yeux
fermés, le visage rayonnant, elle savourait son bonheur.
Son train en
croisa un autre, mais le souffle violent qui fit résonner la vitre
ne la tira pas de ses songeries.
Elle avait
six ans, elle entrait à la grande école.
Elle y avait appris à lire et à écrire comme on commence à respirer, tout naturellement, sans jamais plus s’arrêter...
Quelques années plus tard sa mère inquiète mais ravie l’avait accompagnée presque jusqu’à l’entrée du collège.
Elle y avait appris à lire et à écrire comme on commence à respirer, tout naturellement, sans jamais plus s’arrêter...
Quelques années plus tard sa mère inquiète mais ravie l’avait accompagnée presque jusqu’à l’entrée du collège.
Le père
n’avait rien dit, c’était la loi.
Quand elle
entra au lycée il resta silencieux, mais elle sentit bien qu’il
n’approuvait pas.
Il ne lui parla plus guère, ses regards suffisaient. A la maison, face à lui elle s’exécutait sans un mot.
Il ne lui parla plus guère, ses regards suffisaient. A la maison, face à lui elle s’exécutait sans un mot.
Elle réussit
facilement le bac. Il ne sembla pas s’en apercevoir.
Cinq ans
passèrent encore, cinq ans d’université pendant lesquels il
l’ignora.
Par respect,
elle s’était toujours tue.
Ce soir
pourtant c’était surtout à lui qu’elle pensait.
Il n’avait
jamais rien interdit.
Elle courut dans les escaliers, poussa sa porte. Ses frères et sœurs l’attendaient, tenant le petit dernier qui marchait à peine.
Elle fut accueillie par des cris de joie, d’admiration, de félicitations. La maison sentait bon, tous s’étaient fait beaux, on l’attendait pour la fête.
Elle
embrassa sa mère qui pleurait en souriant, se débarrassa des gosses
et se précipita vers la salle à manger.
Il était
là, à l’autre bout de la table.
Debout, beau
et digne, vêtu d’un vieux costume bleu, le cou serré dans un col
blanc maladroitement repassé autour duquel, il avait noué une
cravate à bon marché. Il semblait impassible.
Elle
s’arrêta à quelques pas de lui. Elle aurait voulu qu’il la prit
tendrement dans ses bras pour y demeurer un moment, comme il le
faisait avec le tout petit.
Mais il
restait là, distant, silencieux, respectueux.
Alors dans
un sanglot, elle lui jeta :
- Ça y est
papa, j’ai fini mes études ! Je suis avocate !
Et elle
s’élança vers lui.
D’un geste
ferme il arrêta son élan et, plein d’un douloureux regret
affirma :
- Tu vois
Rachida, si tu étais un garçon, tu serais mon fils préféré.
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